Les fêtes régionales, des collections aux pratiques contemporaines

Les fêtes représentent un des sujets de prédilection des ethnographes depuis le XIXe siècle. À cette époque, l’ethnographie de l’Europe est essentiellement tournée vers l’étude des sociétés dites « traditionnelles ». Dans cette perspective, les ethnographes inventorient les pratiques festives parce qu’ils y voient des survivances d’un monde préindustriel en voie de disparition. Cette tendance se poursuit au XXe siècle. Au même titre que les rites de passage, les âges de la vie, la vie matérielle, le travail et l’outillage agricole, les chants et légendes, la fête est un domaine à part entière du folklore et plus précisément l’un des plus étudié, analysé, valorisé. En Provence, Fernand Benoit développe deux chapitres entiers intitulés « Le calendrier des fêtes et des saisons » et « Les jeux et divertissements populaires » dans La Provence et le Comtat Venaissin. Fait encore plus significatif, Claude Seignolle dans Le folklore de la Provence consacre un chapitre d’une centaine de pages aux « fêtes traditionnelles », ce qui correspond à un quart de son ouvrage. Si les fêtes sont autant investies, c’est bien pour une raison objective, à savoir qu’elles occupaient jadis une période tout à fait significative dans le calendrier et la vie des individus. C’est que les fêtes dévoilent véritablement le visage des sociétés d’autrefois et leur organisation fondée sur l’alternance des cycles agraires tout au long de l’année. Pour Arnold Van Gennep, cette notion de cycles caractérisait le rythme et les façons de vivre de ces sociétés.

C’est dans ce paradigme que les collections des musées d’ethnographie ont été constituées, à partir du XIXe siècle. Les objets relatifs aux fêtes y ont eu dès l’origine une place de choix. Costumes, effigies, bannières de confréries, instruments de musique, objets rituels, masques et accessoires… ont retenu l’attention des ethnographes en Provence comme dans d’autres régions. Parmi ces objets, le costume régional connote particulièrement l’identité régionale (Bromberger, 1989). En Provence, le costume de l’arlésienne a pris cette signification symbolique, sous l’impulsion du mouvement du Félibrige qui en a codifié ses usages et l’a érigé en symbole d’appartenance.

Si l’on retrouve donc des objets propres aux fêtes dans la plupart des musées régionaux, leur importance est toutefois contrastée. Ils varient en fonction de l’organisation des collectes, du sens qu’on leur donne et donc des intentions des collecteurs. Les fêtes ont pu faire partie d’un domaine de collecte dans le cadre d’un programme formalisé, pensé, ordonné au Museon Arlaten, avec des manuels de collecte édités dès les origines du musée. Dans une vision félibréenne, les fêtes ont été magnifiées comme les symboles d’une Provence « éternelle », associée surtout à la culture du Pays d’Arles et à un passé mythifié. En revanche, les objets associés aux fêtes sont quasiment absents d’autres collections comme celles du musée de Salagon (Alpes-de-Haute-Provence). Certes, le programme de collecte n’y a pas été autant formalisé qu’au Museon Arlaten et n’est pas animé par les mêmes démarches, mais ce vide témoigne aussi d’un ancrage historique et d’une institutionnalisation beaucoup moins fort des pratiques festives sur le territoire concerné. Ainsi, la présence ou l’absence d’objets festifs dans les collections peuvent être appréhendées comme un indicateur des dynamiques de la vie sociale d’un territoire donné et de ses spécificités historiques en même temps qu’elles révèlent, à un autre niveau d’analyse, les aspirations des collecteurs.

Objets témoins, ils peuvent également devenir des objets phares d’une collection par leur qualité esthétique ou leur dimension spectaculaire. En témoigne ainsi les « testières » de la Fête-Dieu ainsi que son paravent, emblématiques du Musée du Vieil Aix ou encore la célèbre Tarasque du Museon Arlaten, qui ne cesse de surprendre voire d’amuser les publics et peut parfois servir de « signature » du musée dans ses images et supports de communication.

Les fêtes sont des manifestations vivantes en perpétuelles évolutions. Si certaines ont totalement disparu, d’autres se perpétuent, ou bien sont relancées, réinventées, voire carrément créées. Des chercheurs ont souligné la multiplication des fêtes locales qui ont essaimé à partir des années 1970 en étant connectées aux saisons touristiques et au renouveau du tourisme local, à la revalorisation des produits du terroir (Bérard & Marchenay 2004). En étant associées aux saisons touristiques, les fêtes ont été intégrées dans des stratégies de développement local et d’image de marque. La fabrique de ces fêtes, leur évolution ou leur réadaptation représentent aujourd’hui un champ de recherche conséquent pour les ethnologues. Les recherches sur les fêtes connaissent en effet un regain d’intérêt à travers la notion de Patrimoine culturel immatériel (Convention du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, 2003) puisqu’elles font partie des six domaines qui définissent cette notion à travers la catégorie « rituels et évènements festifs ». Chaque État signataire de la convention étudie, préserve et valorise ce patrimoine au niveau national à travers un inventaire. C’est dans ce cadre que plusieurs fêtes régionales ont été inscrites dans l’Inventaire national du Patrimoine culturel immatériel piloté par le ministère de la Culture. Inventoriées sous forme de fiches selon une méthodologie participative qui associe les acteurs et groupes concernés, ce travail questionne la posture de l’ethnologue en charge de cet inventaire, entre recherche et médiation. Parmi ces exemples de fiches d’inventaire on peut citer : « La fête du citron de Menton », « Les savoir-faire liés au carnaval de Nice », « La fête des olives de Mouriès », « Les fêtes à charrettes entre Alpilles et Durance »(1) .

La problématique de ces actes s’articule donc entre collections anciennes et pratiques festives contemporaines de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Quels regards porter sur ces collections pour mieux les comprendre et les valoriser? L’analyse des objets anciens relatifs aux fêtes est un formidable levier pour comprendre l’origine et le sens de nos collections et plus largement le processus de mise en patrimoine. Mais comment documenter, collecter les fêtes actuelles à travers leurs objets mais aussi leurs vécus, représentations, discours ? En effet, les musées d’ethnographie ont vocation à être des outils de compréhension de notre société, en faisant dialoguer l’histoire et les dynamiques contemporaines. Plus que jamais, l’étude de l’évolution des fêtes est une fenêtre sur les grandes tendances qui traversent notre époque.

Ces trois articles qui suivent proposent de contextualiser certaines collections emblématiques de nos musées, de questionner les problématiques de la collecte des fêtes contemporaines régionales et leur mise en récit dans une exposition ou encore de revenir sur les méthodes d’inventaire et le rôle de l’ethnologue dans l’étude de ces faits si vivants et évolutifs.

Bibliographie :
Fernand Benoit, La Provence et le Comtat Venaissin, Avignon, Aubanel, 1981.

Laurence Bérard & Philippe Marchenay, Les Produits de terroir : entre cultures et règlements, Paris, CNRS, 2004.

Christian Bromberger, « Ethnographie », in Christian Bromberger, Regis Bertrand et al., Provence, Paris, Éditions Christine Bonneton, 1989, pp. 86-249.

Claude Seignolle, Le Folklore de la Provence, Aubenas, Maisonneuve & Larose, 1980.

Arnold Van Gennep, Le Folklore français, tome 1 : Du berceau à la tombe, cycles de carnaval – Carême et de Pâques, Paris, Robert Laffont, 1998.

1. Fiches réalisées pour les deux premières citées par Antonin Chabert, et pour les deux suivantes par Laurent-Sébastien Fournier. Ces fiches d’inventaire se consultent sur le site de l’Inventaire national du Patrimoine culturel immatériel :
https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Patrimoine-culturel-immateriel/Le-Patrimoine-culturel-immateriel/L-inventaire-national-du-Patrimoine-culturel-immateriel

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