Cézanne vu d’Aix. Entre légende et mémoire collective

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« Dans la rue des gamins se moquaient de lui et lui jetaient des pierres, je les écartai. Pour ces enfants l’allure de brigand qu’avait Cézanne était une autorisation au sarcasme. Il devait leur apparaître comme une sorte de « père fouettard », Emile Bernard, Souvenirs sur Paul Cézanne, une conversation avec Cézanne, 1912.

Louise Germain, Paysage provençal, début du XXe siècle, huile sur toile, 39 x 61,7 cm. Dépôt de l'Hôpital au Musée du Vieil Aix.

Paul Cézanne (1839-1906) déchaîne les passions de son vivant, et encore davantage après sa mort. Alors qu’il connaît une reconnaissance internationale dès les années 1910 la ville d’Aix continue d’ignorer l’enfant du pays jusqu’à une prise de conscience croissante dans la deuxième moitié du XXe siècle. En tous points dissidents vis-à-vis des injonctions de la bonne société aixoise, Cézanne fait rapidement l’objet de légendes locales, alimentées par ses premiers biographes qui en brossent un portrait d’artiste maudit : sous leur plume il devient un peintre misanthrope et acariâtre, vivant reclus… Sans prétendre à l’exhaustivité, l’exposition du Musée du Vieil Aix se propose de revenir sur la réception de Cézanne dans sa ville natale, de la légende à la construction d’une mémoire collective entre 1895, année à partir de laquelle il vit à Aix-en-Provence de manière presque permanente, après plus de trente ans entre Paris et la Provence, et 1956, qui marque la tenue de l’exposition du cinquantenaire de sa disparition au Musée du Pavillon de Vendôme.

Henri Dobler, Sainte-Victoire sous l'orage, 1934, aquarelle sur papier, 38 x 27,8 cm (chacun). Ville d'Aix-en-Provence, collection du Musée du Vieil Aix.

Quatre sections jalonnent le parcours suivant un ordre chronologique. L’exposition ouvre ainsi sur le contexte aixois du XIXe siècle, pour se poursuivre sur la présentation des amitiés artistiques locales de Paul Cézanne. Dialoguent ainsi les propos de ses premiers biographes avec les œuvres et témoignages de son temps, mettant en évidence le fait que la réalité du rapport des Aixois à Cézanne est sans doute à nuancer : Cézanne jouit en effet toute sa vie de belles et fidèles amitiés, à commencer par celles du sculpteur Philippe Solari ou du peintre Achille Emperaire. Après le décès de Cézanne en 1906 sa reconnaissance croît et traverse les frontières : se forme alors une véritable cabale institutionnelle à l’encontre de Cézanne dans sa ville natale, à laquelle une section de l’exposition est consacrée. Ces anti-cézanniens comptent dans leur rang notamment les peintres Henri Dobler et Louis-Gautier, ce dernier n’hésitant pas à qualifier la production artistique de Cézanne d’« entreprise de désagrégation » en 1931. Enfin le parcours se clôt sur la figure de Marcel Provence qui n’eut de cesse d’œuvrer en faveur de la réhabilitation de la mémoire de Cézanne en sa ville : il rachète l’atelier des Lauves en 1921, il y fonde un centre de documentation, joue le rôle de relai auprès des chercheurs du monde entier tels que John Rewald, tout en contribuant à instituer des commémorations annuelles. Au travers d’une présentation de peintures, dessins, photographies ou documents d’archives, pour certains inédits, l’exposition se propose ainsi d’interroger le rapport de la ville à son artiste fétiche, du rejet à la glorification.

Edouard Ducros, Lavandières dans l'Arc. Pont des Trois Sautets, 1896, huile sur toile, 32,5 x 40,5 cm.
Ville d'Aix-en-Provence, collection du Musée du Vieil Aix.

Musée du Vieil Aix – Hôtel d’Estienne de Saint-Jean
17, rue Gaston de Saporta, 13100 Aix-en-Provence.
Jusqu’au 04/01/2026, le mardi, mercredi, jeudi et vendredi et les week-ends de 10h à 12h30 et de 13h30 à 17h.
Tarif plein 6 euros ou tarif réduit 5 euros.

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